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La Rédaction De La Sentence Arbitrale

Colloque co-organisé par :

Le Centre de conciliation et d’Arbitrage de Tunis- l’Ordre National des Avocats de Tunisie- la Faculté du Droit et des Sciences Politiques de Tunis- Le Comité National de l’Union Internationale des Avocats

 

21-22 Novembre 2014 à l’Hôtel El Mouradi Gammarth – Tunis

 

Communication sur :

 

La Rédaction De La Sentence Arbitrale

Ahmed Ouerfelli

Avocat au barreau de Tunis

Ancien Conseiller juridique auprès du président de la république

Ancien juge

ahmedouerfelli@hotmail.com

Atelier n° II. Le 22 novembre 2014 à 10.45.

(Texte publié à la Revue Tunisienne de l’Arbitrage, 2015)

 

Introduction

  1. La rédaction n’est qu’une traduction d’une pensée. C’est aussi le miroir qui reflète la personnalité du rédacteur. La langue, le style, la méthodologie… ont toujours quelque chose de subjectif, de personnel. Cependant, dans un monde où l’arbitrage se judiciarise, je juridicise, et se professionnalise, il n’est plus permis d’aller loin dans la personnalisation. Il est des standards qu’il ne faut pas louper. Un arbitre qui ne souhaite pas voir sa sentence rejetée et repoussée par l’ordre juridique étatique doit veiller à soigner son texte et à produire une sentence qui réponde aux standards légaux et professionnels généralement admis.
  2. A cet effet, il faut surtout mentionner le renvoi de l’article 46 du Code de l’Arbitrage au CPCC, y compris son article 123. Ce dernier dispose : « Tout jugement doit contenir :
  1. l’indication du tribunal qui l’a rendu ;
  2. les noms, prénoms, qualités et domiciles des parties ;
  3. l’objet du litige ;
  4. le résumé des dires des parties ;
  5. les motifs en fait et en droit ;
  6. le dispositif ;
  7. la date à laquelle il a été rendu ;
  8. le nom ou les noms du magistrat ou des magistrats qui l’ont rendu ;
  9. l’indication du ressort ;
  10. la liquidation des dépenses si elle est alors possible».
  1. Cet article constitue le référentiel de base pour tout juge et tout arbitre en Tunisie. L’absence de texte similaire ou de renvoi similaire dans le Chapitre III du Code de l’Arbitrage relatif à l’arbitrage international justifie le recours, encore une fois, à cet article 123 qui, faut-il l’avouer, est largement conforme aux standards internationaux en la matière.
  2. En effet, en droit français, l’article 454 du Code de Procédure Civile dispose :

« Le jugement est rendu au nom du peuple français.

Il contient l’indication :

– de la juridiction dont il émane ;

– du nom des juges qui en ont délibéré ;

– de sa date ;

– du nom du représentant du ministère public s’il a assisté aux débats ;

– du nom du secrétaire ;

– des nom, prénoms ou dénomination des parties ainsi que de leur domicile ou siège social ;

– le cas échéant, du nom des avocats ou de toute personne ayant représenté ou assisté les parties ;

– en matière gracieuse, du nom des personnes auxquelles il doit être notifié ».

  1. La sentence doit donc contenir un certain nombre de mentions, et procéder selon une méthodologie([1]). Se pose, également la question des opinions dissidentes, qui ne font l’objet d’aucun texte législatif en droit tunisien.

Section I. Mentions de la sentence

  1. La sentence arbitrale est un texte écrit. Nous ne sommes plus à des ères où la sentence est rendue verbalement. Pourtant, ce n’est pas de la pure fiction. Ce fut le cas dans l’ère Jahélite. L’on citera notamment la sentence de Amrù Ibnù Hind dans l’affaire Dahess Wel-Ghabraa (Bakr c. Taghleb) et aussi la sentence rendue dans l’affaire des Pierres Noires ou aussi les sentences de Aqraa Ibnu Habess
  2. Afin d’assurer un niveau minimum de standardisation des décisions à caractère judiciaire, la loi prévoit qu’elles doivent comporter un minimum de mentions. Celles-ci ne sont pas de la même nature. Certaines sont simplement descriptives ou se bornent à rapporter un fait ou un élément objectif sans pouvoir discrétionnaires, alors que d’autres sont le fruit de l’ingéniosité de l’arbitre.

Sous-section I : Les mentions descriptives

  1. Il s’agit des indications des éléments matériels relatifs au tribunal arbitral, aux parties litigantes et au litige lui-même et à la décision arbitrale.

Parag. 1er : Les mentions identifiant le Tribunal arbitral

  1. Le Code de Procédure Civile et Commerciale prévoit l’obligation pour les juges de mentionner les noms des arbitres qui ont rendu le jugement et le tribunal qui l’a rendu. Ces dispositions s’appliquent à la sentence arbitrale, sous réserve des nuances suivantes.
  2. D’abord, quant à l’indication des noms des juges qui ont rendu le jugement, il faudra notamment mentionner le cas où un arbitre refuse de signer la sentence. Ici, deux hypothèses se présentent : il peut s’agir d’un arbitre qui a assisté au délibéré mais qui a refusé de signer la sentence, comme il peut s’agir aussi d’un arbitre qui a refusé de participer au délibéré ou qui s’est absenté, avec ou sans motif.
  1. L’indication du tribunal arbitral qui a rendu la sentence et l’institution d’arbitrage sous l’égide de laquelle la sentence a été rendue
  1. La sentence arbitrale doit mentionner l’identité de tous les arbitres. L’identité comporte au moins le prénom et le nom de famille. Elle peut être plus extensive.
  2.  Pour l’arbitrage institutionnel, il faut aussi mentionner le nom de l’institution. Il faut rappeler que le tribunal est composé d’un ensemble de personnes physiques, qui se distinguent de l’institution d’arbitrage.
  1. Rappel des procédures de mise en place du Tribunal arbitral
  1. Les vicissitudes de la procédure de mise en place du tribunal arbitral engendrent la nullité de la sentence arbitrale. C’est pourquoi le rédacteur de la sentence doit relater les phases de mise en place du tribunal arbitral dans le moindre détail. Il doit mentionner notamment les dates et modalités de désignation de chaque arbitre, les jugements de désignation ou décisions relatives à la récusation ou à la révocation d’arbitres, les remplacements judiciaires des arbitres, les désistements et déports…
  2. L’on doit aussi mentionner les déclarations d’indépendance faites par les arbitres et les décisions de confirmation en cas d’arbitrage institutionnel sous l’égide des institutions qui prévoient cette procédure de confirmation.
  3. Le rédacteur doit mentionner, notamment, la date de la constitution définitive du tribunal arbitral afin de permettre au juge étatique de s’assurer du respect du délai de l’arbitrage, et la date de clôture des débats afin de déterminer la date à laquelle il est devenu impossible pour les partis de récuser les arbitres.
  1. Identification du support de la compétence du Tribunal arbitral
  1. A l’instar de l’indication de la procédure de mise en place du tribunal arbitral, il s’agit là aussi d’une mention spécifique à l’arbitrage et qui ne peut pas figurer dans jugement d’un tribunal étatique. L’arbitrage étant conventionnel, il échoit pour l’arbitre d’indiquer les références de la convention d’arbitrage : date, parties, substance (type de litiges couverts, modalités procédurales, délai…).
  2. Pour des arbitres professionnels, il est impératif que la sentence arbitrale mentionne le texte de la convention d’arbitrage à la lettre. L’arbitre doit éviter tout effort de synthétisation de la convention d’arbitrage ou tout emploi de formules qu’il considère comme équivalente au contenu de l clause compromissoire ou du compromis.
  3. Au cas où il s’agit d’un arbitrage forcé ou d’un arbitrage par acte séparé, notamment les cas où le consentement d’une partie étatique est donné sous forme de loi ou de convention internationale, notamment une convention bilatérale de protection des investissements (TBI), il faut indiquer les références de la loi ou de la convention, avec les références de la loi et autres textes portant ratification de la convention, avec indication de l’article ou des articles contenant un consentement ouvert à l’arbitrage de la part de l’Etat ou de la personne de droit public.
  4. Si la convention d’arbitrage est rédigée dans une langue autre que celle de la procédure d’arbitrage, l’arbitre peut exiger une traduction officielle. En droit tunisien, comme dans la majorité des lois comparées, le tribunal arbitral peut aussi ne pas demander de traduction officielle lorsque la convention d’arbitrage est rédigée dans une langue qu’il connait. Généralement, c’est le cas lorsque la convention est rédigée en langue française, alors que l’arbitrage se déroule en langue arabe ou vice-versa. Ces derniers temps, c’est aussi le cas pour les textes en langue anglaise. Un bon nombre d’arbitres tunisiens s’accommodent bien avec cette langue.

Parag. 2 : Les mentions identifiant les parties au litige 

  1. Les noms, prénoms, qualités et domiciles des parties
  1. Ces informations doivent figurer dans la demande d’arbitrage et éventuellement dans les répliques. Il suffit de les copier à la lettre. A coté des identités des parties, il faut mentionner les identités des avocats et conseils, ainsi que celles des représentants légaux des personnes morales. Il faut souligner que la pratique judiciaire selon laquelle il suffit de signaler le « représentant légal » de la personne morale n’est pas la meilleure pratique internationale, surtout que la qualité de cette personne peut être sujette à contestation.

Parag. 3 : Les mentions identifiant le litige 

  1. L’objet du litige
  1. Cette mention se borne à décrire l’objet du litige tel que rapporté par le demandeur. Il peut s’agir d’une transcription pure et simple. Cependant, le tribunal arbitral peut apporter sa touche à la façon dont le litige est présenté. Il peut alors le résumer à sa manière, mais il faut se garder, à ce stade, de donner un avis prématuré sur la version la plus crédible des faits telle qu’appréciée par l’arbitre. A ce stade, il faut garder la neutralité pour ne pas donner au lecteur l’impression que le tribunal arbitral a un parti pris préalable sur l’issue du litige.
  1. Le résumé des dires des parties
  1. L’article 123 du CPCC n’oblige pas le tribunal de reproduire les dires des parties à la lettre. Le tribunal arbitral a, au moins, deux libertés :
  • La liberté de résumer les dires de chaque partie à sa manière. Il peut aussi les copier à la lettre. Avec l’utilisation des moyens électroniques dans l’échange des mémoires, les arbitres ont de plus en plus tendance à copier les mémoires des parties grâce à un double click. Ce n’est pas forcément la meilleure pratique, même si elle permet de s’assurer de la transcription fidèle des dires des parties. L’expérience démontre qu’en résumant les dires des parties, l’arbitre fournit un effort intellectuel d’analyse et d’assimilation qui le mène à découvrir les insuffisances et contradictions dans les propos d’une partie. Cela l’aide à bien comprendre son dossier. C’est un exercice intellectuel très intéressant.
  • La liberté de réorganiser les dires des parties. En effet, au cas où les parties ou leurs conseils soumettent plusieurs mémoires, il n’est pas évident que l’ordre des questions évoquées soit identique à chaque fois. De même, la méthodologie des parties sont très variables : à plusieurs arguments détaillés, un avocat peut préférer répliquer en bloc. L’inverse est aussi vrai. De même, un deuxième ou troisième mémoire peut se suffire de répliquer seulement à certains points demeurés litigieux. Les arbitres préfèrent réorganiser les arguments des parties. A cet effet, certains arbitres préfèrent de regrouper les dires de chaque partie dans une section à part. d’autres préfèrent exposer les dires et contre-dires des parties sur chaque point litigieux avant de passer au suivant. Bien plus, certains arbitres préfèrent exposer les résumés des dires du demandeur sur un point déterminé, les dires du défendeur sur ce même point, puis sont propre avis, avant de passer au point suivant. Cela permet de constater la contradiction à l’œil nu, et à suivre tout le débat point par point jusqu’au bout.

Parag. 4 : La date à laquelle la sentence a été rendue

  1.  Il s’agit d’une mentionner « objective » qui ne fait que relater un fait matériel. Pour les sentences arbitrales il faut ajouter le lieu où la sentence est rendue, notamment le pays ou aussi le canton pour les pays à régime fédéral ou régional (comme la Suisse) afin de déterminer les juridictions compétentes pour les phases post-sentence et éventuellement la nature de l’arbitrage (interne / international).

Sous-section II : Les mentions constructives

  1. Il s’agit des indications présentant le raisonnement du tribunal arbitral et qui expliquent comment l’arbitre est parvenu au résultat synthétisé dans le dispositif de la sentence.

Parag. 1er : Les motifs en fait et en droit

  1. C’est la partie la plus intéressante de la sentence. Il faut rappeler qu’en droits anglais en indien (Arbitration Act 1996), la motivation n’est exigée qu’en cas d’une clause expresse la stipulant([2]). Au contraire, en droit tunisien, l’article 75 du Code de l’Arbitrage prévoit expressément que la sentence arbitrale doit être motivée, sauf convention contraire des parties([3]). Il est, toutefois, à noter que les règles relatives à la motivation d’une sentence arbitrale amiable composition sont logiquement moins rigoureuses que celles régissant les sentences en droit.
  2. La doctrine affirme, de son côté, que la motivation est un devoir légal et « professionnel » de l’arbitre. Thomas Clay considère que c’est « une des composantes du procès équitable. Elle doit donc être respectée par toute personne qui jouit d’un pouvoir juridictionnel »([4]). Il remonte l’histoire pour rappeler que cette obligation a été établie pour les juges en tant que principe général de procédure avec la révolution française, et ce, dans la loi des 16 et 24 août 1790, qu’elle a été reprise par le Code de Procédure Civile puis par l’article 455 du NCPC, outre le fait qu’elle est constitutionnellement protégée. L’arbitre est soumis aux mêmes impératifs que le juge vu l’attraction qu’opèrent les règles de la procédure civile sur la conduite de l’instance arbitrale([5]).
  3. Fouchard, Gaillard et Goldman soulignent malgré tout : « Le principe du contradictoire ne doit toutefois pas être confondu avec l’exigence de motivation. […] Le fait que la sentence ne soit pas motivée ne viole pas en soi le principe du contradictoire. Il est vrai que la motivation permet de s’assurer plus facilement que le principe du contradictoire a bien été respecté.
  4. La Cour d’appel de Paris a ainsi jugé que « la contradiction des motifs d’une sentence diffère de la violation du principe de la contradiction »([6]). Le Tribunal Fédéral fédérale suisse a considéré que le droit d’être entendu dans une procédure arbitrale internationale, prévu à l’article 190 alinéa 2 de la Loi sur le droit international privé (1987), ne comprend pas le droit à une sentence motivée([7]).
  5. Des études ont souligné le fait que la motivation des sentences contribue à la mise en évidence, la systématisation et la structuration des principes de la lex mercatoria et à la création d’un droit matériel propre à l’arbitrage commercial international([8]).
  1. La sentence doit être motivée, même lorsqu’il s’agit d’un arbitrage amiable composition. La motivation doit être claire, intelligible, cohérente et non contradictoire mais il n’est pas nécessaire qu’elle contienne une leçon de droit([9]).
  2. La motivation pose au moins trois grands problèmes :
  1. La motivation lacunaire
  2. La motivation ambigüe
  3. La motivation contradictoire
  4. La motivation contraire à l’ordre public
  5. La motivation manifestement contraire à la loi (manifest disregard of the law)
  1. Le juge étatique vérifie ex post si l’arbitre a vraiment étudié les positions respectives des parties, leurs prétentions et leurs moyens de preuve, et, aussi, s’il n’a pas violé les lois de police et les règles d’ordre public. Or, fermer les yeux sur une motivation floue, très sommaire et lacunaire au point d’être incompréhensible même pour le juge, sur une motivation qui ne couvre pas certains points litigieux signifiants, ou sur une motivation confuse et contradictoire revient à tolérer le défaut total de motivation([10]).
  2. A notre sens, l’indulgence à l’égard d’une motivation contradictoire ou incompréhensible est pire que la passivité à l’égard du défaut de motivation, car le défaut de motivation, (dans le texte de la sentence) n’est pas synonyme d’absence de raison ou de logique. Pareille tolérance vaut, sans équivoque, encouragement implicite de la légèreté et de la « motivation de façade » et réduira l’exigence de motivation au rôle d’une simple exigence d’une mention obligatoire qui doit figurer « pour la forme » dans la sentence.
  3. C’est pourquoi nous ne voyons aucune différence réelle entre la position qui nie le caractère obligatoire de la motivation et celle qui n’exige aucune qualité ou caractère dans la motivation([11]).
  4. L’obligation de concision : Commentant une sentence rendue dans l’une des affaires jugées par le US-Iran Claims Tribunal, un juge a écrit: « The lengthy Award in this Case invites reconsideration of the Tribunal’s practices in preparing its decisions.I write not in criticism of the draftsmen of this particular Award, but rather to point out a tendency that is growing throughout the Tribunal to prepare Awards that are overly long and unnecessarily detailed([12]).
  1. Il s’agit d’une motivation formulée d’une façon incompréhensible. La motivation on intelligible pour un observateur suffisamment avisé et raisonnablement indulgent et tolérant fait que celle-ci soit dénuée de toute valeur. Le juge étatique doit être très prudent en manipulant un tel argument, car une ambigüité privant la motivation de toute valeur doit être frappante et choquante au point que personne ne puisse faire ressortir un sens logique à ce qui est écrit, même s’il n’est pas convaincant. En général, l’ambigüité se confond avec la contradiction des motifs.
  2. La cour de cassation française, quant à elle, ne se contente pas des formules générales pouvant constituer une simple « motivation de façade » et qui cachent l’absence d’une véritable motivation([13]).
  1. L’application d’une règle, qu’il s’agisse d’une règle de Droit ou d’une Règle d’équité([14]), nécessite un raisonnement ordonné, organisé, harmonieux et non contradictoire ; et s’il s’avère que la logique suivie a été confuse ou contradictoire, cela signifiera inéluctablement que la « Règle » dont procède ce raisonnement est défectueuse ou que la mise en application de cette règle est fausse. En somme, la contradiction d’un raisonnement vaut défaut de raison.
  2. C’est ainsi que la Cour d’Appel de Tunis a pu conclure que la contradiction de la motivation d’une sentence vaut absence de motivation, et défaut total de base logique de cette sentence, ce qui la rend annulable([15]).
  3. La mise en œuvre de cette règle nécessite l’examen approfondi des composantes de la sentence et de la démarche suivie par les arbitres pour traiter chaque point du litige, et le fait pour la Cour d’Appel d’avoir « décortiqué » la sentence objet de la demande d’annulation ne signifie pas qu’elle a dépassé le cadre de l’article 42 du Code de l’arbitrage et qu’elle a statué en tant que juridiction de second degré, chose qui est parfaitement contraire à l’esprit du droit tunisien de l’arbitrage et à l’essence même de la procédure d’annulation.
  4. En fait, la Cour d’Appel de Tunis n’a pas inventé cette idée selon laquelle la motivation contradictoire vaut défaut de motivation.
  5. Il est à remarquer que la jurisprudence a depuis longtemps assimilé la contradiction des motifs à un défaut total de motivation, affirmant que des motifs opposés et contradictoires s’annulent([16]). Dans le nouveau droit algérien de l’arbitrage (loi n° 08-09 du 25 février 2008), le cas de contradiction des motifs à l’article 1056, parmi les cas d’annulation des sentences arbitrales et de révocation de l’ordonnance d’exequatur.
  6. Par ailleurs, deux risques majeurs se présentent :
  1. La contrariété de la sentence à l’ordre public est un motif évident d’annulation. Le juge étatique est en fait le gardien de l’ordre public, qui se compose des règles essentielles pour le fonctionnement de la société et de l’Etat.
  2. Il est notamment à souligner que dans la quasi-totalité des systèmes juridiques, le juge (ou l’arbitre, si le litige est arbitrable) est habilité à soulever ex officio les règles d’ordre public. Dans la pratique judiciaire tunisienne, le juge peut invoquer une règle d’ordre public à n’importe quel stade de la procédure, même en phase de cassation. Ce qui est grave est que les juges se reconnaissent le droit d’invoquer ces règles de façon « secrète » ou « surprenante », c’est-à-dire sans avoir avisé les parties et sans soumettre la règle d’ordre public au débat des parties. Or, si les règles d’ordre public substantiel s’imposent à tout le monde, les règles d’ordre public procédural sont aussi impératives que celles substantielles, et jouissent même d’une certaine suprématie.
  3. En effet, le droit  de la défense est l’une des composantes du droit au procès équitable. C’est d’ailleurs la composante la plus essentielle de ce droit au procès équitable, qui constitue un droit fondamental de l’être humain. Vu sa nature de Droit de l’Homme, le droit au procès équitable est reconnu comme principe supra-constitutionnel. Il est reconnu par les conventions régionales de protection des droits de l’homme et des chartes et déclarations de Droits de l’Homme.
  4. C’est pourquoi les tribunaux suisses ont jugé que l’arbitre ne peut pas soulever d’office une règle qu’il estime d’odore public à l’insu des parties ; il doit éviter de les surprendre par l’invocation d’une règle complètement imprévisible et qui n’a jamais fait l’objet de débat contradictoire. Il doit simplement poser aux parties la question de savoir si elles admettent l’applicabilité de la règle d’ordre public au litige, et leur accorder un délai raisonnable pour soumettre leurs conclusions relativement aux conditions de mise en œuvre de cette règle. Il est évident que les parties peuvent convaincre l’arbitre ou le juge que cette règle n’a pas lieu de s’appliquer au litige, ou aussi que ses conditions d’application en sont pas réunies, ou aussi que les modalités de sa mise en œuvre dans leur litige doit se faire d’une manière particulière.
  5. Selon le Tribunal Fédéral Suisse, au cas où l’arbitre soulève d’une façon imprévisible une règle d’ordre public, la sentence doit être annulée([17]).
  1. Aux Etats-Unis d’Amérique, et alors que ni la loi fédérale sur l’arbitrage de 1925, ni les lois des Etats fédérés ne mentionnent pas le cas de Manifest disregard of the law comme cas d’annulation, certaines Cours de certains Circuits ont admis qu’il appartient au juge de détecter et de mettre en œuvre des cas de non statutory grounds for the annulment of an award, c’est-à-dire des cas non cités par la loi pour l’annulation d’une sentence arbitrale. Leur ingéniosité leur a permis d’inventer ce cas de violation manifeste de la loi. En effet, il s’agit d’un cas qui ouvre la voie à une révision au fond de la sentence.
  2. D’abord, il s’agit d’un cas non prévu par la loi, alors que les cas d’annulation sont listés par la loi à titre limitatif. Ensuite, il s’agit d’un cas qui est contraire à l’essence même de l’arbitrage, construit autour du principe de la non-révision au fon de la sentence. Or, avec ce motif d’annulation, le juge de l’annulation devient un juge de second degré, alors que l’arbitrage est fondé sur le principe de l’unicité du degré de juridiction (one shot). Il s’agit aussi d’une extension excessive du concept du contrôle du respect de l’ordre public, car l’ordre public ne peut pas être violé du simple fait que l’arbitre ou le juge aient très mal appliqué une règle qui n’est pas elle-même d’ordre public.
  3. Pour un arbitre scrupuleux, il faut éviter tous ces types de vices ; il faut se prémunir contre les appréciations des juges ayant tendance à accroitre le domaine de leur contrôle des sentences arbitrales. La sentence doit respecter un certain standard de reasonableness, même s’il s’agit d’un arbitrage en Droit.

Parag. 2 : Le dispositif de la sentence

  1. C’est, là, la partie la plus importante de la sentence. C’est la parole du tribunal arbitral qui doit être traduite par des actes concrets : payement de somme d’argent, remise ou délivrance de chose, service à effectuer ou travail à faire, abstention de faire, quitter un immeuble, mainlevée…
  2. Le dispositif doit être en harmonie avec les motifs. Autrement, la sentence encourrait l’annulation, au moins dans les juridictions où l’on assimile la contradiction des motifs au défaut de motivation.

Parag. 3 : L’indication du ressort de la sentence arbitrale

  1. Les sentences sont généralement rendues en dernier ressort. Cependant, s’agissant de l’arbitrage interne, elle peut être rendue en premier ressort. L’art. 39 du Code de l’Arbitrage prévoit que : « Ne peuvent faire l’objet d’un recours en appel :

1- les sentences des arbitres amiables compositeurs,

2- les sentences arbitrales, sauf stipulation contraire et expresse de la convention d’arbitrage.

Dans ce cas, l’appel est régi, au même titre que les jugements judiciaires, par les dispositions du code de procédure civile et commerciale.

Si la cour confirme la sentence arbitrale attaquée, elle en ordonne l’exequatur.

Si elle l’infirme, elle statue au fond et rend une décision judiciaire ».

Parag. 4 : La liquidation des dépenses et des frais et dépens

  1. Les frais et dépens englobent les honoraires des arbitres et des avocats et experts, les frais des témoins et les frais administratifs de l’institution d’arbitrage. Pour l’arbitrage institutionnel, les frais administratifs et honoraires des arbitres sont calculés selon des barèmes plus ou moins rigoureusement appliqués.

 

  1. Méthodologie de Rédaction de la Sentence
  1. La sentence doit être rédigée d’une façon logique et méthodique, de façon à permettre à son lecteur de suivre facilement le raisonnement de l’arbitre et de comprendre pourquoi la solution finale fut celle qui a été retenue par les arbitres.

Parag. 1er : Pour l’exposé des faits

  1. Pour l’exposé des faits, l’arbitre doit être très précis et veiller à ce que pour chaque fait retenu dans l’analyse finale, l’élément de preuve correspondant. Il est essentiel que la sentence mentionne la date des actes et écrits, le lieu de leur signature, les références de la légalisation de signature s’il y a lieu et l’enregistrement ou le dépôt sous la main d’un officier public le cas échéant.
  2. De même, les faits doivent être exposés de façon logique. La manière la plus simple te la plus pertinente est de suivre l’enchainement chronologique des faits. Cela permet de comprendre le déroulement et le développement de la situation.
  3. L’arbitre doit éviter tout jugement de valeur. Il doit éviter les adjectifs et les superlatifs autant que possible.

Parag. 2 : Pour les motifs de Droit

  1. L’arbitre doit veiller à ce que les motifs en droit répondent à tous les points litigieux. Il faut donc suivre la méthode du traitement systématique.
  2. En réalité, dans beaucoup de cas, l’arbitre focalise son analyse sur le point essentiel dans le litige et oublie les demandes secondaires ou accessoires. Cette défaillance peut entrainer l’annulation d’une sentence très bien faite mais qui manque d’exhaustivité.

III. Formulation et Présentation des Opinions Dissidentes

  1. Le droit tunisien n’évoque pas la possibilité pour un arbitre d’émettre une opinion dissidente. Contrairement aux slogans balancés de façon forfaitaire par certains auteurs, le silence ne vaut pas permission, mais il ne vaut pas interdiction non plus.
  2. A notre sens, et vu le renvoi général dans l’article 46 du Code de l’Arbitrage au CPCC, l’on doit écarter toute possibilité de formulation d’une opinion dissidente dans un arbitrage interne, à moins qu’il ne s’agisse d’un arbitrage institutionnel sous l’égide d’une institution qui reconnait dans son règlement une telle technique.
  3. Par contre, en ce qui concerne l’arbitrage international, le Chapitre III du Code de l’Arbitrage ne renvoie pas au CPCC. L’intention du législateur est de renvoyer implicitement aux standards internationaux, notamment les règles de la CNUDCI et la jurisprudence internationale. Or, dans la pratique internationale, les opinions dissidentes sont largement reconnues.
  4. Les modalités pratiques sont au moins au nombre de deux :
  • Il peut s’agir d’une opinion formulée dans un texte séparé, indépendant de la sentence. La plupart des arbitres formulent leurs opinions dissidentes sous la même forme d’une sentence arbitrale, où ils répondent à l’ensemble des questions litigieuses et exposent leurs points de vues personnels, et expliquent en quoi et pourquoi ils n’adhèrent pas au raisonnement de la majorité.
  • Il peut s’agir aussi d’une indication dans la sentence arbitrale de l’opinion de l’arbitre dissident. Cette formule est employée lorsque les arbitres ont seulement une divergence de points de vue mais continuent à travailler dans la sérénité et le respect, et sans mise en cause par les uns de l’intégrité morale ou de la compétence technique des autres. C’est une pratique relativement rare. Le plus souvent, l’on fait recours à cette méthode lorsque les divergences se limitent à un ou certains points litigieux, alors que les fondamentaux du raisonnement des arbitres sont les mêmes. Il peut s’agir d’arbitres qui sont d’accord sur l’analyse juridique mais qui divergent sur l’évaluation du dommage et des indemnités…

Conclusion

  1. La rédaction de la sentence arbitrale doit être attentive. Il est fortement conseillé que le processus de rédaction lui-même soit interactif et que les arbitres procèdent à une révision finale, chacun de son coté, de la version finale, car dans un travail humain, la faute peut toujours se glisser. Heureusement, dans l’art. 78 du Code de l’Arbitrage, il est permis au juge de remettre la sentence à l’arbitre pour la corriger. Il s’agit évidemment de corrections matérielles qui ne changent pas la substance. Toutefois, il s’agit d’une hypothèse exceptionnelle, jamais appliquée par le juge tunisien à notre connaissance. Il ne faut donc pas compter sur cette « complaisance » judiciaire (conforme à la loi). Les arbitres doivent bien faire leur travail et ne pas se laisser à la merci des parties ou du juge étatique.

 

Ariana, le 20 novembre 2014.

 

([1]) Marcel Fontaine, « Drafting the Award: A Perspective From a Civil Law Jurist » (1994) 5:1 ICC International Court of Arbitration Bulletin 30 aux pp. 31-32; Humphrey Lloyd, « Writing Awards: A Common Lawyer’s Perspective » (1994) 5:1 ICC International Court of Arbitration Bulletin 38 aux pp. 39-41.

([2]) Lord Mansfield: [c]onsider what you consider justice requires and decide accordingly. But never give your reasons; for your judgment will probably be right, but your reasons will certainly be wrong”.

([3]) Art. 75 du Code de l’Arbitrage :

« 1 – La sentence arbitrale est rendue par écrit et signée par l’arbitre ou les arbitres. En cas de pluralité d’arbitres, les signatures de la majorité des membres du tribunal arbitral suffisent pourvu que soit mentionnée la raison de l’omission des autres.

2 – La sentence arbitrale doit être motivée, sauf si les parties en conviennent autrement, ou s’il s’agit d’une sentence rendue par accord des parties conformément à l’article 15 du présent code.

3 – La sentence doit mentionner la date à laquelle elle est rendue, ainsi que le lieu de l’arbitrage déterminé conformément à l’article 65 du présent code. La sentence arbitrale est réputée avoir été rendue audit lieu.

4 – Une copie de la sentence rendue, signée par le ou les arbitres conformément au paragraphe 1 du présent article, est remise à chacune des parties ».

([4]) Thomas CLAY : « L’arbitre », éd. Dalloz, collection Nouvelle bibliothèque des thèses, Paris 2001, p. 632, n° 826.

([5]) Op. cit., p. 161-162, n° 197.

[6] Paris, 13 mai 1988, Rev. arb. 1989.251, note Yves DERAINS.

[7] Tribunal fédéral suisse, 23 mars 2005, no 4P.26/2005, disponible en ligne : Tribunal fédéral <http://www.bger.ch/fr/index/juridiction/jurisdiction-inherit-template/jurisdiction-recht/jurisdiction-rechturteile 2000.htm>

[8] Alexandrina VELICAN-DANARIÇU : « La motivation des sentences dans l’arbitrage commercial international en France et aux États-Unis », thèse de doctorat en droit, Université de Paris XI, 1991 à la p. 19 à la p. 412 ; Ahmed OUERFELLI : « Note sous Cass. 23 fév. 2000, Revue de l’Arbitrage 2000, n° 3, p. 597.

([9]) Appel Tunis, 4 mai 1999, aff. n° 40, précité ; Alan REDFERN et Martin HUNTER, « Droit et pratique de l’arbitrage commercial international », éd. LGDJ, Paris1994, 2ème édition, p. 317.

([10]) Ahmed OUERFELLI : « La motivation de la sentence arbitrale : un art et un devoir », Revue de la Jurisprudence et de la Législation, mai 2005, p. 9.

([11]) Ahmed OUERFELLI : « L’arbitrage dans la jurisprudence tunisienne », éd. LGDJ-Latrach, Paris-Tunis 2010, p. 327 et ss.

([12]) Opinion dissidente du juge Holtzmann dans l’affaire d’arbitrage Mohsen Asgari Nazari c. Islamic Republic of Iran (1994), 30 Iran- U.S. Claims Tribunal, à la p. 168 rapporté par Romain DUPEYRE : « Les limites de l’obligation de motivation : de la concision des sentences arbitrales », 41 (2006) 19.1 Revue québécoise de droit international.

([13]) Cass. 2ème civ., 7 janvier 1999 (sté Syseca), Bull. Civ. II, n° 1 ; Revue de l’arbitrage 1999, p. 272, note D. FOUSSARD ; Procédures 1999, p. 58, note Roger PERROT ; Gazette du Palais 9-11 janvier 2000, p. 56 ; Jurisclasseur Périodique 1999. IV. 1281.

([14]) L’art. 73 du Code de l’Arbitrage emploie le vocable : « règles de l’équité ».

([15]) Appel Tunis, aff. n° 40, 04 mai 1999, Revue Libanaise de l’Arbitrage Arabe et International, n° 13, p. 65.

([16]) Cass. Civ. 2ème, 2 mars 1972, Bulletin des arrêts de la Cour de Cassationfrançaise 1972, II, n° 63 : « Les arrêts qui ne contiennent pas les motifs sont déclarés nuls ; … la contradiction des motifs équivaut défaut de motifs ». Sur l’ensemble de la question, voir, par exemple : Marie-Noelle JOBARD-BACHELLIER et Xavier BASCHELLIER ; « La technique de cassation. Pouvoirs et arrêts en matière civile », éd. Dalloz 1989, p. 139 et ss., et sur la motivation en général, voir le travaux de l’association Henri CAPITANT, Tome III, Limoges 1998, sur « La motivation », et notamment la première partie.

([17]) Affaire Tvornica : Tribunal Fédéral Suisse, Ire Cour civile, 30 septembre 2003, aff. n° 4P.100/2003 /ech, http://xa.yimg.com/kq/groups/18041107/768245886/name/ATF+Tvornica+du+30.+septembre+2003+principio+de+contradiccion.PDF: «6.2 Il est vrai que la mise en œuvre éventuelle de l’art. 20 CO relève du droit, de même que l’interprétation et la portée de la décision du 5 novembre 1999 de l’Agence et qu’à ce propos la règle « jura novit curia » paraît s’appliquer sans autre. Mais en l’occurrence l’analyse juridique qu’a faite le tribunal arbitral était effectivement sans relation avec tous les éléments sur lesquels le débat avait porté devant lui. La référence à l’art. 20 du contrat contenue dans la lettre de résiliation du 16 février 2000, à part deux mentions dans la demande (allégué n° 24) et dans le mémoire après enquêtes de la demanderesse, qui simplement la conteste (p. 25), n’a nullement été prise en compte ou discutée par les parties, les défenderesses ne reprenant pas l’allusion à cette disposition dans leurs courriers postérieurs à la lettre du 16 février 2000 ou dans leurs écritures lors de la procédure arbitrale. Durant toute celle-ci, les parties se sont attachées à démontrer quels étaient à leur sens les véritables motifs de la rupture des contrats et quelles devaient en être les conséquences juridiques. Elles ne pouvaient s’attendre à ce que le tribunal arbitral prenne prétexte d’une référence à une disposition qu’aucune des parties n’avait trouvée déterminante – effectivement il ne tombe pas sous le sens que la déclaration de nullité d’une clause ou de plusieurs clauses contractuelles par un organe administratif équivaut à un défaut d’autorisation étatique – pour construire un raisonnement juridique très éloigné des thèses qu’elles avaient l’une et l’autre soutenues. Cela est d’autant plus vrai que le tribunal arbitral a finalement rejeté non seulement la demande, mais aussi la demande reconventionnelle pour le motif que les contrats litigieux n’étaient pas nuls (« null and void« ) comme les défenderesses l’avaient affirmé devant lui. Dans ces circonstances, le grief fondé sur l’art. 190 al. 2 let. d LDIP est bien fondé. Le recours doit être admis ».

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