I. Introduction
Le Professeur Matthieu de Maisonneuve, ayant suivi le débat juridique relatif aux élections de la FTF de 2015, vient de me demander des clarifications sur l’arbitrage dans le contentieux des élections sportives, et dans les litiges relatifs aux décisions unilatérales des fédérations sportives en générales. Pour lui, il est évident que ces litiges sont du ressort exclusif des tribunaux étatiques compétents en matière administrative. Si cet avis est suivi, l’article 56 des Statuts de la FTF doit être taillé, qu’il s’agisse de sa version ancienne (attribuant la compétence au CNAS), ou aussi de sa version actuelle, attribuant la compétence au TAS (Lausanne).
Contre cette évidence, il y a toujours chez la plupart des gens qui s’intéressent au sport, juristes inclus, une contre-évidence, selon laquelle tout le litige sportif est arbitrable, en bloc, et sans dissociation aucune.
Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà !
Ou plutôt, évidence au deçà de la Méditerranée, erreur au-delà !
II. Arbitrabilité évidente ou inarbitrabilité évidente ?
L’arbitrabilité des litiges sportifs est une question à dimensions multiples, y compris le volet constitutionnel (tranché par la Cour Constitutionnelle Allemande en 2016 dans l’affaire Peschtein, mais pas encore en Tunisie, où une Cour constitutionnelle est en cours d’institution([1])).
Entre-temps, en Tunisie, les avis sont divisés :
· Dans les Statuts du CNOT (Comité National Olympique Tunisien) tel qu’amendés depuis 2010 et dans le Règlement d’arbitrage du CNAS (Comité National d’Arbitrage Sportif, le TAS tunisien, imité sur le système du TAS, établi par le CIO), les limites de l’arbitrabilité ne sont pas claires, et il y a un renvoi général à l’article 7 du Code de l’Arbitrage.
· L’article 7 du Code de l’Arbitrage interdit l’arbitrage dans les litiges mettant en cause l’Etat et les collectivités locales, dès lors qu’il s’agit d’arbitrage interne ;
· La jurisprudence admet que lorsqu’il s’agit de situations où l’Etat agit en tant qu’opérateur économique, l’arbitrage est possible, mais la question n’est pas tranchée ;
· Le Tribunal Administratif (haute juridiction administrative, et équivalent du Conseil d’Etat français) considère que sa compétence est assise par la Constitution et par une loi organique, d’où les Statuts du CNOT et le Règlement d’Arbitrage du CNAS ne peuvent pas lui ôter sa compétence et qu’il faut qu’il y ait au moins une loi organique, surtout que la nouvelle Constitution de 2014 attribue un BLOC de COMPETENCE au Tribunal Administratif en matière de contentieux administratif. Le Premier Président du Tribunal administratif a rendu deux décisions par lesquelles il a complétement il a ignoré l’arbitrage sportif. Sur ce sujet, j’ai publié un post sur linkedin intitulé « Le Premier Président du TA balaye l’arbitrage du monde du sport » (en arabe) ;
· La première concerne le handball (affaire Karim Hilali c. FTHB) et la seconde concerne le football (affaire Grombalia Sports c. FTF). Dans ces deux affaires, le justiciable en question a directement soumis son litige au fond au TA et a demandé une mesure de sursis à exécution de la décision attaquée du bureau fédéral (admission de démission pour Karim Hilali, et tenue des élections de 2015 pour Grombalia Sports). Les deux demandes ont été examinées sur la base des critères de compétence du TA, sans s’attarder sur l’existence du Règlement du CNAS et des Statuts de la FIFA et le CIO, approuvés par les fédérations sportives ;
· De sa part, la Cour d’Appel de Tunis considère qu’elle a la compétence exclusive en matière de contrôle des sentences arbitrales, quelle que soit la matière. Dans ce cadre, elle a retenu qu’elle est habilitée à statuer sur une demande d’annulation d’une sentence CNAS (affaire Hannibal Jegham c. FTKaraté, 2012). Elle a affirmé aussi que le litige électoral sportif comporte deux volets : le premier, qui consiste dans la phase préparatoire des élections, dont les litiges sont arbitrables, et le second, concernant l’opération de scrutin, qui n’est pas arbitrable car elle touche à l’ordre public.
· J’ai écrit que cette summa divisio n’a aucun sens ou support légal et que l’on doit retenir, soit l’arbitrabilité totale, soit l’inarbitrabilité totale du contentieux électoral (« le CNAS n’est pas la juridiction suprême en matière sportive », article publié en arabe à la Revue Al-Mouhamat, 2015).
· De sa part, une juridiction de l’ordre judiciaire, une chambre civile (et non pas prud’homale) a estimé qu’elle est compétente en matière de litiges contractuels relatifs au paiement des salaires d’un joueur. Là, c’est un juge judiciaire qui ignore la compétence arbitrale (pourtant évoquée par le Club défendeur, l’EST – Affaire Oussama Boughanmi c. EST, rapportée dans mon ouvrage : « Précis de Droit du Sport », éd. GLD, Tunis 2015, en langue arabe).
La question est donc sujette à tergiversations et bouleversements. Le fait que la FTF ait modifié ses Statuts en 2015 (dans des circonstances assez compliquées, en présence de deux jugements interdisant la tenue de ces élections, et avec une sentence arbitrale déclarant en amont la nullité de toutes les décisions de l’Assemblée générale) et pour transférer la compétence au TAS, Lausanne, sans exception aucune, ne pourra aucunement mettre fin à cette grande confusion.
III. Quelle évolution attendre de de la jurisprudence ?
Il existe une jurisprudence antérieure à l’instauration du CNAS (2010), qui consacre la compétence du Tribunal Administratif en matière sportive. Citons notamment l’arrêt Club Athlétique Bizertin (CAB) c. Comité National des Recours Sportifs, Appel Administratif, 7 juillet 1982, n° 462, Recueil, p. 97; Club Africain c. FTF, Trib. Adm., 21 avril 1979, Aff. n° 39, Sursis à exécution. Recueil 1979, p. 124.
Cependant, après 2010, tout le monde a compris que le CNAS était la juridiction unique et SUPREME en matière sportive. Une discipline collective était établie sous l’ancien régime, avec l’aide des médias et des affirmations des juristes sportifs, très influents à travers les médias.
Ce n’est qu’après la Révolution de 2011 que les choses ont commencé à bouger. Depuis quelques années, j’ai écrit (en arabe) que les sentences du CNAS sont susceptibles de recours en annulation, et c’est en 2012 qu’un premier recours a été introduit par Hannibal Jegham c. FTKaraté).
Par la suite, sont venues les affaires Karim Hilali c. FTHB et Grombalia Sports c. FTF, où les justiciables se sont adressés au Tribunal Administratif, en tant juridiction de fond, et au Premier Président du Tribunal Administratif, pour demander le sursis à exécution. Seules les demandes de mesure de sursis (référé) ont été examinées, mais pas encore de décision sur le fond.
Je m’attends à ce que le Tribunal Administratif se réfère, dans les décisions qu’il rendra au fond, à sa jurisprudence antérieure à 2010, et dans ce cas, c’est probablement la fin de l’arbitrage dans une bonne partie du contentieux sportif, et c’est probablement le désordre total, avec une moyenne de plus de trois ans pour obtenir un arrêt du Tribunal Administratif!
Il est vraiment difficile que le Tribunal Administratif fasse la Court of Appeal anglaise dans l’affaire Stretford (2007), et adopte une analyse pragmatique, non fondée sur une véritable argumentation juridique, pour renier sa compétence.
Je rappelle ici que lors d’une conférence organisée par le CCAT en 2016, le juge Ahmed Souab a proposé de retourner la compétence au Tribunal Administratif qui doit s’adapter en créant une sorte de chambre spécialisée qui statue selon la même célérité que les juridictions françaises.
Je ne suis pas aussi optimiste que lui, dans un pays aux millions de priorités inclassables !
Dans cette sinistre hypothèse, l’arbitrage sportif se limitera aux questions contractuelles, et donc tout ce qui est disciplinaire et électoral (au moins) devra sauter et se trouvera dans la queue avec des centaines de types de contentieux prioritaire devant le Tribunal Administratif. Entre mille et une priorités, dont le grandissant contentieux des élections de tout un pays, la règle est bien connue : rien n’est prioritaire !
Tunis, le 07 octobre 2017
Ahmed Ouerfelli
Avocat au barreau de Tunis