La Cour d’Appel de Bruxelles a estimé dans un arrêt rendu le 29 août 2018 que la stipulation des Statuts de la FIFA selon laquelle il est interdit aux clubs, sportifs et autres acteurs de la vie sportive de recourir aux tribunaux étatiques et qu’ils n’ont d’option que de recourir au TAS afin de contester les décisions des fédérations sportive nationales([1]) est nulle et ne peut valoir devant le juge étatique ou lui ôter sa compétence.
De nouveau, cette stipulation s’expose au rejet des juges qui estiment tant que leur compétence est fondée sur des dispositions constitutionnelles, qui ne peuvent être écartées par des lois nationales et a fortiori par des statuts d’organisations de la société civile à l’instar de la FIFA ou des fédérations nationales([2]), tantôt qu’il s’agit d’une stipulation contraire aux conventions des droits de l’Homme, notamment l’article 6 de la CEDH de 1950 et le droit européen en général([3]).
Selon la Cour d’appel de Bruxelles, les clauses d’arbitrage de la FIFA, de l’UEFA ainsi que de ses membres, donc les fédérations nationales de football, violent cette exigence de « rapport de droit déterminé », laquelle « se rattache au droit d’accès à la justice et au respect de la volonté des parties », selon la Cour Européenne des Droits de l’Homme et la Charte des Droits de l’Homme de l’Union Européenne([4]).
Un commentateur se demande s’il s’agit ici d’un nouvel arrêt Bosman([5]). Un nouveau séisme n’est donc pas à exclure.
Il est cependant à rappeler que par deux décisions importantes, deux juridictions de pays européens ont refusé de s’aligner à cette logique qui menace de détruire tout le système de résolution des litiges sportifs et, par conséquent, l’un des principaux piliers du système sportif dans le monde. Ainsi, dans l’affaire Stretford, la Court of Appeal d’Angleterre a implicitement admis, par un arrêt rendu en 2007, que la légitimité de l’arbitrage sportif est assez douteuse au vu de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme([6]), mais a estimé que l’admission de cette invalidité aura des conséquences assez poussées et imprévisibles, qu’il vaut mieux éviter([7]). La Cour Constitutionnelle allemande a jugé, dans l’affaire Peschtein, que l’arbitrage sportif n’est pas forcément contraire aux principes protecteurs des droits de l’Homme([8]).
Reste que le système d’arbitrage sportif mérite un véritable lifting. Le système du TAS demeure dominé par une très forte présence suisse, qui doit sans doute être modérée([9]). Le chemin doit être ouvert à des juristes d’autres horizons, ayant des cultures juridiques plus variées.
([1]) Article 68 des Statuts de la FIFA (Engagement) :
« 3. Les associations sont tenues d’intégrer dans leurs statuts ou leur règlementation une disposition qui, en cas de litiges au sein de l’association ou en cas de litiges concernant les ligues, les membres des ligues, les clubs, les membres des clubs, les joueurs, les officiels et autres membres de l’association, interdit le recours à des tribunaux ordinaires dans la mesure où la réglementation de la FIFA ainsi que des dispositions juridiques contraignantes ne prévoient pas ni ne stipulent expressément la saisine de tribunaux ordinaires. Une juridiction arbitrale doit ainsi être prévue en lieu et place des tribunaux ordinaires. Les litiges susmentionnés devront être adressés soit au TAS, soit à un tribunal arbitral ordinaire et indépendant, reconnu par la réglementation d’une association ou d’une confédération.
Les associations doivent également s’assurer que cette disposition est bien appliquée au sein de l’association en transférant si nécessaire cette obligation à leurs membres. Les associations sont tenues d’une part de sanctionner toute partie qui ne respectera pas ces obligations et d’autre part de stipuler que les recours contre les sanctions prononcées sont de la même façon soumis uniquement à la juridiction arbitrale et ne peuvent pas non plus être déposés auprès d’un tribunal ordinaire ».
([2]) Ahmed OUERFELLI : « Coup d’arrêt à l’arbitrage sportif en Tunisie ! », publié le 2 avril 2016 sur https://fr.linkedin.com/pulse/coup-darr%C3%AAt-%C3%A0-larbitrage-sportif-en-tunisie-ahmed-ouerfelli
([3]) Arrêt de la Cour d’Appel de Bruxelles du 31 aout 2018. Cf., « Football : le recours au TAS qu’impose la FIFA est illégal, selon la Cour d’appel de Bruxelles », https://www.lemonde.fr/football/article/2018/08/31/football-le-recours-au-tas-qu-impose-la-fifa-est-illegal-selon-la-cour-d-appel-de-bruxelles_5348695_1616938.html ; LE MONDE | 31.08.2018 à 17h34 • Mis à jour le 31.08.2018 à 17h55. La justice belge statuait sur un litige opposant le club belge RFC Seraing à la FIFA et à l’UEFA.
([4]) Belga : « Football: la cour d’appel de Bruxelles déclare illégaux les statuts de la Fifa, l’UEFA et des fédérations nationales imposant le recours au TAS », Le Soir, mis en ligne le 31/08/2018 à 15:19, http://www.lesoir.be/175918/article/2018-08-31/football-la-cour-dappel-de-bruxelles-declare-illegaux-les-statuts-de-la-fifa
([5]) Belga : « Le recours obligatoire au TAS jugé illégal, un nouvel ‘arrêt Bosman’ ? », https://www.rtbf.be/sport/football/detail_les-clauses-fifa-concernant-le-recours-au-tribunal-arbitral-du-sport-sont-illegales?id=10007518, publié le vendredi 31 août 2018 à 16h37
([6]) Article 6 de la CEDH (1950) dispose :
Article 6 – Droit à un procès équitable
1 Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2 Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3 Tout accusé a droit notamment à:
a. être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui;
b. disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;
c. se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent;
d. interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;
e. e se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience ».
([7]) Stretford v. The Football Association Ltd. & Anor, Court of Appeal – Civil Division, March 21, 2007, [2007] 2 Lloyd’s Rep 31,[2007] 1 CLC 256,[2007] Bus LR1052,[2007] 2 All ER (Comm) 1,[2007] EWCA Civ 238, https://court-appeal.vlex.co.uk/vid/-52566539
([8]) Ahmed Ouerfelli : « L’arbitrage sportif n’est pas en soi contraire au droit à un procès équitable », publié le 7 juin 2016, https://de.linkedin.com/pulse/larbitrage-sportif-nest-pas-contraire-au-droit-%C3%A0-un-proc%C3%A8s-ouerfelli
([9]) Ahmed Ouerfelli : « How to manage a bilingual arbitration procedure? (Example of the Real Madrid vs FIFA CAS-TAS Arbitration Case) », posté le 29 juillet 2018 sur : https://www.linkedin.com/pulse/how-manage-bilingual-arbitration-procedure-example-real-ouerfelli/
Ahmed Ouerfelli
Avocat au barreau de Tunis